Nous nous sommes quittés sur les hauteurs du Mont Xalibu d’où j’a décidé une nouvelle fois de bouleverser mes plans pour explorer encore un peu les recoins du parc gaspésien…
Il était 16h et le soleil se coucherait d’ici 2h, je savais déjà qu’une partie du voyage retour se ferait de nuit, et ce ne serait pas la partie la plus drôle puisqu’il s’agirait des bois qui entourent le Mont Albert, là où l’obscurité domine déjà en pleine journée. Sans lampe torche, je risquais bien de m’y perdre, et le sentier non restauré ne m’aiderait pas. Perdu pour perdu, j’ai donc choisi d’explorer les vallées reliant les sommets Jacques Cartier et Xalibu. De vastes forêts de petits conifères me permettraient ici de distinguer plus facilement mon chemin, même de nuit, l’altitude ayant favorisé une végétation proche de la toundra alpine, je ne m’inquiétais pas pour cette partie du retour.
Sur ce sentier, j’ai rencontré des lapins et des poules sauvages ! J’espérais secrètement croisé de nouveau un caribou car je me rapprochais des hauteurs dans lesquelles les mâles patrouillent. Malheureusement aucune trace d’un quelconque cervidé dans les parages. Après 2 nouvelles heures de marche, je me suis rendu compte que le retour allait finalement me prendre au moins 5h, et ce sans compter de pause. En y rajoutant 1h pour la fatigue et l’obscurité, je ne rentrais pas avant 2h du matin. Le défi m’intéressait mais la dernière partie me faisait tout de même un peu peur. L’idéal aurait été de poser ma tente ici sauf que voilà : Ayant prévu de rentrer après mon arrêt au lac aux Américains, je n’avais prévu ni de quoi dormir, ni de quoi manger : Mes provisions étaient à sec.
La nuit commençait à tomber et les rayons de soleil se faisaient peu à peu engloutir par l’imposant Mont Albert. Alors que j’avais finalement assouvi ma soif de découvertes pour la journée et que je pensais rebrousser chemin, je suis tombé sur une cabane à proximité d’une petite étendue d’eau. Il y avait à l’extérieur une table et un entrepôt pour le bois, mais l’endroit semblait inhabité, voir abandonné. Intrigué, j’ai décidé d’ouvrir la porte du repère. Celle-ci n’était pas verrouillée, j’y ai découvert un refuge avec 4 matelas, une table, quelques chaises et même une cheminée. Une crème solaire à moitié vide trônait sur la table ainsi qu’un bouquin sur la Gaspésie… Pourtant, la cabane semblait laissée à l’abandon depuis des mois. L’hiver, ces coins étant inaccessibles, cela devait faire près d’un an qu’elle n’avait pas été occupée. J’y ai provisoirement posé mes affaires, malgré qu’il y est un coin pour dormir, la problématique du repas tenait toujours et je ne comptais pas rester dans ces lieux. Un panneau indiquait un camping à 2 km du refuge. Par curiosité, j’ai décidé d’y faire un tour voir si j’étais loin de la « civilisation ».
2 québécois visiblement venus passer du bon temps autour de quelques bières installaient leur campement dans ce camping désert. Ils m’ont d’ailleurs confié que cette partie du parc était tellement éloignée qu’ils pouvaient venir planter leur tente gratuitement sans risquer la moindre amende… J’ai alors supposé que le refuge était lui aussi payant mais que personne à la SEPAQ n’en vérifiait le planning. Ces 2 camarades étaient vraiment sympathiques, mais à la vue des minutes qui défilaient, j’ai dû reprendre le chemin du retour, la nuit allait être assez courte comme ça, il ne fallait pas que je m’éternise plus. Mais arrivé au refuge, j’ai pensé à une toute autre solution que la rando nocturne, car même si l’aventure m’intéressait, pourquoi ne pas passer la nuit ici après tout ? Avec un peu de chances, les 2 québécois pourraient peut-être m’échanger quelques provisions contre mes derniers dollars ? J’ai donc fait demi-tour et suis revenu à la rencontre de nos 2 campeurs venus eux aussi de Montréal et je leur ai demandé s’ils avaient de quoi manger en échange de quelques pièces. C’est avec un plaisir certain qu’ils se sont hâtés à l’intérieur de leur grande tente et m’ont préparé une poche plastique avec de la viande séchée, une barre de céréales et même une barre de chocolat. En n’étant pas trop gourmand, je pouvais même m’en garder pour le petit déjeuner. Ils ont évidemment refusé mes pièces, je leur ai alors donné rendez-vous au gîte du Mont Albert où je comptais bien leur payer quelques bières en remerciements le lendemain. Malheureusement ils devaient partir très tôt et ce n’était pas sûr que nous puissions nous retrouver.
De retour à ma cabane, j’avais de quoi manger et dormir mais il restait un problème : A part les matelas, il n’y avait aucune couverture, et à cette altitude les températures risquaient chuter à -10°C et le refuge n’était pas très isolé. Avec une cheminée et une hache dehors, continuons dans les clichés de l’aventure québécoise et allons couper quelques bûches de bouleau dehors ! Non sans mal, j’ai réussi à me constituer un stock plutôt conséquent de branchages et bûches récupérées sur des arbres morts.
Le bouleau est parfait pour allumer un feu, notamment grâce à son écorce particulièrement inflammable. C’est à la sueur de mon front (oui ça permet d’allumer un feu paradoxalement) que j’ai réussi à préparer mon feu de bois. Celui-ci m’aura finalement tenu toute la nuit et aura même un peu trop chauffé la cabane puisque j’ai dû ouvrir les fenêtres !
Ce qui s’annonçait comme une nuit de péripéties à travers la forêt s’est finalement transformé en escale improbable au milieu des montagnes, dans un vrai lit et avec un vrai chauffage ! Si on m’avait dit que ma meilleure nuit se passerait lorsque je n’avais prévu ni de quoi dormir ni de quoi manger…
*Nom du morceau : Mystificoté de Suroît, issu de l’album du même nom.